La sobriété et l’efficience de la formation professionnelle
Au-delà de l’impact d’une formation professionnelle pour le commanditaire, parfois il faut prendre du recul et penser à ce que peut apporter la formation au monde dans lequel on se retrouve. L’efficience et l’efficacité d’une formation au niveau organisationnel sont des objectifs importants. Cela dit, il faut parfois aussi penser à son impact sur la planète, et sur l’environnement, ainsi que son impact éthique et moral. Il est notre responsabilité de contribuer à préserver le monde dont hériteront nos enfants et nos petits-enfants, et la formation professionnelle n’y échappe pas. Nous devrions tous réfléchir à notre rôle dans un monde durable.
Dans la dernière et troisième édition du livre de Jonathan Pottiez, L’évaluation de la formation chez Dunod, il y a une citation de Peter Drucker : « Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose qui ne devrait pas du tout être fait ». Chez Evaluationformation.fr, il est vrai que nous sommes là pour vous aider à évaluer et maximiser l’efficacité de vos formations. Mais cette citation nous oblige à nous réinterroger sur le sens de nos formations. Concrètement, à quoi servent nos formations ? On peut très bien avoir des formations efficaces au sens où elles atteignent leurs objectifs, mais elles pourraient aussi finalement contribuer à des choses qui sont néfastes pour notre planète. Prenons un exemple très simple. On pourrait très bien évaluer et améliorer l’efficacité d’une formation qui ravage un territoire qui va ensuite favoriser l’installation d’une usine très polluante. On aurait formé les ouvriers et les ingénieurs pour travailler plus efficacement. Mais si l’usine pollue la planète, quelle conclusion pourrons-nous tirer ? Il faut à un moment ouvrir le débat. Ce sont des questions que l’on doit se poser et ça peut aller jusqu’à peut-être prendre notre courage à deux mains et voir si cela pourrait nous amener à refuser de travailler pour des clients, sur certaines missions, etc. Il faut évaluer l’implication afin d’être sûr que la formation a retenu l’intérêt du participant, et il faut évaluer la pertinence pour être sûr que la formation n’a pas été un énorme gaspillage et un perte du temps (on peut être satisfait et impliqué mais si la formation n’est pas utile…).La temporalité d’un questionnaire avec les expressions “à chaud” et ”à froid” pose aussi problème. Nous pouvons envoyer un questionnaire après la fin de la formation. On peut même avoir des réponses plus intelligentes, plus réfléchies, plus argumentées, même si nul ne doute que l’on aura moins de réponses.La question du quand est aussi importante que celle du quoi. Car quand le formateur distribue un questionnaire de 3 pages en fin de formation, le participant est censé penser quoi ? « Ah super ! 25 questions à répondre juste au moment où je pensais que j’allais être à l’heure pour aller chercher mon fils à l’école !» Le quand peut être plus tôt dans la journée, et comme l’on disait, une fois de retour au poste de travail.
Changer les esprits
En 2017, l’interview de Vincent Mignerot sur la chaîne YouTube de Thinkerview nous a fait réfléchir au monde que nous étions en train de laisser aux générations présentes et futures. La formation doit s’intégrer dans cette réflexion. On doit parler de la responsabilité éthique, et du coup des choix que l’on fait, et de notre capacité à rester en cohérence avec nous-mêmes lorsque l’on se regarde dans le miroir le matin.Il faut planter la graine du doute. Cela peut même permettre aux gens qui sont hermétiques, très fermés sur ces sujets, d’évoluer. Et même si on fait la formation avec des réserves, on ne sait jamais ce qu’elle pourrait apporter. Chez Kirkpatrick, on parle de « bénéfices intangibles ». Personne ne peut prédire l’avenir. On peut établir des plans, on peut se fixer des objectifs, on peut s’engager, on peut se fixer un cap… Mais la réalité, c’est que personne n’a de boule de cristal, donc on ne sait jamais exactement ce qui va se passer derrière. C’est important de l’avoir en tête.
Les moyens et les gestes
Pour aller plus loin, il faut aussi parler des moyens : les gestes et les habitudes que l’on peut adopter pour réduire notre impact sur l’environnement au quotidien.Digitaliser nos formations ne suffit plus car nous ne posons plus les bonnes questions sur l’impact du digital en termes de consommation d’énergie. Par exemple, au niveau des gestes : ça ne sert à rien de remplacer un paperboard si l’on va utiliser un écran à la place pendant trois heures. Cette pratique consomme également de l’énergie. Utiliser une caméra lors d’une formation à distance consomme de l’énergie. Envoyer des pièces jointes énormes par e-mail dans les convocations aussi, alors que l’on pourrait très bien mettre un lien quelque part pour que les personnes aillent les télécharger directement. Toute consommation d’énergie, quelle qu’elle soit, finit par polluer, même si elle se base sur des sources prétendument neutres en carbone.Au bout du compte, rien n’est jamais neutre. Mais toutes les pratiques ne se valent pas non plus. Par exemple, animer une classe virtuelle sur Zoom, plutôt que de prendre l’avion pour aller aux Caraïbes et faire une formation en présentiel, sera certainement plus rentable, écologiquement et économiquement parlant.Par contre, on voit de plus en plus des solutions en ligne, des logiciels, des outils d’analyse qui permettent de quantifier les émissions de CO2 et on doit aussi tenir en compte. Il n’y a pas que le coût financier mais aussi le coût environnemental.Par exemple, actuellement nous parlons du développement de la réalité virtuelle, des métavers… qui nécessiteront de produire et distribuer des casques en grande quantité. Ce sera à nouveau une catastrophe écologique ! Car il faut à nouveau creuser le sol pour en extraire les métaux et les terres rares pour produire ces casques. Mais au-delà de l’environnement, il y a aussi des inquiétudes sur la santé. En utilisant un bon casque, certains admettent que l’on peut vomir au bout d’une heure et demie, mais avec un mauvais casque, au bout de 20 minutes ! Avec du recul, on peut se dire que l’on est en train de déployer des choses qui sont tout simplement biologiquement inacceptables.
Notre impact environnemental
On doit intégrer cette réflexion dans notre analyse de « rentabilité environnementale ». Dans quel cas cela vaut-il le coup de faire du distanciel, dans quel cas cela vaut-il le coup de faire du présentiel, ceci afin de prendre des décisions raisonnées en tenant compte des impacts environnementaux.Cela pourrait être intéressant de voir l’État imposer ces calculs dans la certification Qualiopi, afin d’amener les acheteurs et offreurs de formation à intégrer les notions d’efficience et de sobriété.Ne laissons pas tout à l’intelligence artificielle non plus. C’est extrêmement énergivore ! Sans parler aussi de l’éthique. Doit-on accepter de se laisser guider par la machine ? La machine doit rester au service de l’humain. Et à partir du moment où c’est la machine qui va dire « non », c’est le moment à partir duquel on accepte d’en devenir l’esclave.
Notre héritage
« Sur une planète dévastée, plus personne ne se souviendra de l’efficacité de nos formations. Alors soyons exemplaires pour les générations présentes à venir, pour nos enfants, en leur montrant que nous avons pris conscience de l’urgence de la situation. Faisons de la sobriété une priorité partout où cela est possible, y compris en formation. » Cette phrase est aussi tirée de la conclusion du livre de Jonathan. C’est avoir un regard critique sur le sens. De manière générale, en tant qu’individu et en tant que professionnel de la formation, mettre du sens, poser la question et ne pas se laisser embarquer dans cette espèce de mauvais flot, de courant, d’effet de mode où finalement, oui, plus de technologie, c’est forcément meilleur.Plus, ce n’est pas forcément mieux. Plus de formation, plus de technologie, plus de tout… Au final, on doit aussi repenser notre manière de faire de la formation, donner du sens davantage à ce que l’on fait. Intégrer cela dans nos dispositifs d’évaluation aussi, le sens de la formation, et pas juste l’efficacité.Est-ce que les personnes pourraient sortir d’une formation avec une autre vision et peut-être une envie aussi de s’investir, de s’engager davantage sur des sujets sociétaux ou environnementaux ?C’est une question d’héritage. Il faut ouvrir les yeux sur la réalité, ne pas être dans le déni. Penser à comment l’on peut changer la narration et définir ce que l’on veut offrir au monde et aux humains en tant que professionnels de la formation.Ce n’est pas la technologie qui va réduire notre impact environnemental. C’est une réflexion lucide sur l’état de la consommation et comment ça marche. L’intelligence artificielle, la digitalisation, l’utilisation exclusive des ordinateurs pour animer nos formations ne va pas dans la bonne direction.Posons-nous les bonnes questions – ensemble, en concertation – et voyons comment ensemble on peut laisser une trace plus positive pour nos enfants, même dans notre marché.
Joss Frimond est tombé dans le bain de la formation professionnelle en 2000, et il n’a jamais réussi à s’en sortir.
Ayant démarré sa carrière dans un organisme de formation en langues, il a créé le cabinet Linguaid en 2006 afin d’accompagner tous les acteurs du marché de la formation professionnelle.
De nationalité franco-britannique, marié avec 3 enfants, fanatique de golf, Joss utilise sa créativité pour innover de façon incessante dans un marché en pleine évolution.